Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

La mort de Claude Blanckaert, figure de l’histoire des sciences de l’homme

L’historien Claude Blanckaert est mort le 28 octobre, à l’âge de 72 ans à Melun, ville où il était né et a vécu. La précision et l’exigence de son étude des savoirs naturalistes et des sciences de l’homme du XVIIIe au XXe siècle ont influencé nombre de chercheurs. Il fut le promoteur et l’architecte décisif d’une histoire critique de celles-ci, fédérant les recherches au fil de livres collectifs et de séminaires.
Des sciences contre l’homme (Autrement, 1993), par son titre et par la variété des contributions, définissait un programme dont l’acuité et l’actualité demeurent entières. Son œuvre était servie par d’authentiques qualités humaines assorties d’une insatiable curiosité intellectuelle – « on ne peut être chercheur qu’à temps plein », répétait-il.
Passionné par la paléontologie humaine et les récits de ses découvertes, il avait rêvé, baccalauréat en poche, de se rendre en Afrique de l’Est pour y observer le travail des Taieb, Johanson, Guillemot et Coppens à la recherche des restes d’australopithèques (Lucy). Il s’imaginait en défricheur d’un champ de recherche, celui de l’histoire de la préhistoire. Mais, dans les années 1970, l’histoire des sciences demeurait pour l’essentiel dans le giron de la philosophie.
Délaissant sa guitare électrique et son groupe de rock, c’est donc dans une faculté de philosophie, celle de l’université de Paris-XII, à Créteil, qu’il allait préparer ses diplômes. Son mémoire de maîtrise, dirigé par Anne Fagot-Largeault, l’amena à étudier l’histoire du concept de chaînon manquant. Il découvrit l’anthropologie telle qu’elle était envisagée au XIXe siècle, mais aussi l’évolutionnisme comme conception et représentation globale de l’histoire humaine. Il prenait conscience de la prégnance des facteurs contextuels et de la complexité des généalogies des théories scientifiques.
Claude Blanckaert ouvrait aussi des dossiers qu’il ne refermerait pas : celui de la question de l’origine de l’homme, les paranthropes le conduisant à s’intéresser à la primatologie et aux spéculations sur la frontière entre les grands singes et l’homme, mais aussi à la question complexe des usages du mot « race », des raciologues du XIXe siècle aux racismes contemporains.
Claude Blanckaert est entré à l’université nourri par les auteurs de son temps – Roland Barthes et Michel Foucault en tête – et y a découvert la forte influence de systèmes de pensée, tel le structuralisme, sur la communauté des sciences humaines, où l’influence marxiste restait forte. Dans le dédale des idées et des écoles, il a ouvert une voie originale, soutenu par l’historien Jacques Roger. A ses côtes, il découvre un univers, celui de l’histoire et de la méthode historique, mais aussi une nouvelle relation aux savoirs, en particulier dans la fréquentation assidue du séminaire d’histoire des sciences de la vie.
Il en conclut à la nécessité d’appréhender les sciences dans leur dimension contextuelle, comme activité située dans une époque et un milieu, et dans leur propre historicité. Cette voie historienne de l’histoire des sciences, conjuguée à une étude serrée des textes, si étranges ou hermétiques puissent-ils paraître au lecteur contemporain, composeront dès lors le style Blanckaert.
Sous la direction de Jacques Roger, il a soutenu en 1981 sa thèse de doctorat, Monogénisme et polygénisme en France de Buffon à Paul Broca, 1749-1880. Elle avait été saluée pour la finesse de la démonstration, la qualité des analyses et la richesse des références mobilisées. La présence du paléontologue Yves Coppens au sein du jury rappelait, au-delà de l’évident clin d’œil à la source de son engagement intellectuel, le souhait de Claude Blanckaert de favoriser un dialogue nécessaire entre les disciplines.
Après quelques années comme enseignant dans des lycées professionnels, il devient chargé de recherche au CNRS (1985) et rejoint le Centre Alexandre-Koyré (1989), qu’il a contribué à constituer en point d’ancrage institutionnel d’une histoire des sciences humaines inscrite dans le temps long des XVIIIe et XIXe siècles.
Avec une bienveillante curiosité, Claude Blanckaert découvrait et accueillait les travaux des autres chercheurs et tout spécialement ceux des jeunes. Chaque rencontre était pour lui l’occasion d’établir une relation directe, d’écouter, de discuter et, éventuellement, d’« objecter sans brusquer les esprits ». Les lieux de ce dialogue furent nombreux, qu’il s’agisse du séminaire d’histoire des sciences humaines, du séminaire « Muséum, objet d’histoire », de la Société française pour l’histoire des sciences de l’homme qu’il avait cofondée, du Comité des travaux historiques et scientifiques ou des comités de rédaction de la Revue d’histoire des sciences humaines et de la Revue de synthèse. Claude Blanckaert était un homme de collectifs, qu’il les ait fondés ou qu’il y ait participé, toujours désireux d’apprendre et d’échanger avec les collègues.
18 juin 1952 Naissance à Melun
1981 Soutient sa thèse de doctorat, « Monogénisme et polygénisme en France de Buffon à Paul Broca, 1749-1880 »
1993 « Des sciences contre l’homme » (Autrement)
28 octobre 2024 Mort à Melun
Arnaud Hurel (Historien, ingénieur de recherche au Muséum national d’histoire naturelle)
Contribuer

en_USEnglish